La France va-t-elle sauver ses hérissons ?

Il est à la fois le garant de la bonne santé des campagnes, un précieux auxiliaire des jardiniers et un emblème de la biodiversité. Cet animal des plus communs et pourtant de plus en plus menacé, c’est le hérisson. La semaine dernière, un collectif d’associations a mené une semaine de sensibilisation à la disparition de ce petit mammifère nocturne et insectivore. Elles appellent à sauver cette « espèce de 60 millions d’années d’évolution menacée de disparition » dans une pétition signée par 80 000 internautes depuis août dernier, et soutenue par des personnalités politiques (Yannick Jadot, Laurence Abeille, Pascal Durand ou encore Corinne Lepage).

«Là où dans les campagnes il y avait cent hérissons, il n’y en a plus que trois à présent ! On estime qu’ils auront quasiment disparu d’ici à 2025, dans à peine dix ans », écrivent les ONG qui souhaitent la création «d’un statut prioritaire» pour l’espèce afin de «densifier le réseau des personnes habilitées à les sauver». Elles prennent pour exemple le Royaume-Uni, où ces mammifères, emblématiques et populaires, font l’objet d’une large protection.

Outre-Manche, les chiffres sont alarmants. Les populations de hérissons étaient estimées à 1,55 million d’individus en 1995 contre 36,5 millions dans les années 1950 ! Et le déclin se poursuit. Selon plusieurs études britanniques, en moins de vingt ans, elles ont perdu 30 % de leurs effectifs dans les zones urbaines et jusqu’à 75 % dans les campagnes.

En France, il n’existe aucune statistique de la sorte ni aucun suivi national. « Mais il n’y a aucune raison que la situation soit différente de celle de l’Angleterre ; elle doit même être pire puisque l’on utilise davantage de pesticides, qui intoxiquent ces mammifères », note Jean-Xavier Duhart, le coordinateur du réseau d’associations Sauvons les hérissons.

Erinaceus europaeus, protégé sur le territoire depuis 1981, n’est pourtant classé que comme une « préoccupation mineure » sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature – à  l’exception de la région Rhône-Alpes, où il est « quasi-menacé ». « Il est évident que la population française a beaucoup diminué et qu’elle sera menacée si la tendance se poursuit. Mais elle ne va pas disparaître dans dix ans », tempère Christian-Philippe Arthur, le président de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères.

Circulation automobile et pesticides

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L’expert a tenté de quantifier ce déclin. La première des menaces qui pèsent sur la boule de piquants, c’est le trafic automobile. En utilisant des études régionales effectuées par des associations naturalistes, et en extrapolant à l’ensemble de la France, il a calculé que 1 à 3 millions de hérissons sont tués chaque année sur les routes, avec une moyenne de 1,8 million. « Cette mortalité a été multipliée par trois ou quatre en quarante ans », estime-t-il.

Il y a ensuite les pesticides, et notamment les néonicotinoïdes neurotoxiques, qui affectent toujours davantage les petits mammifères, soit directement, lorsqu’ils ingèrent les granulés, soit indirectement, en dévorant des proies (insectes, escargots) elles-mêmes imprégnées. L’Hexagone est l’un des plus gros consommateurs de ces substances en Europe et leur usage ne cesse d’augmenter – à l’exception d’un léger recul entre 2014 et 2015.

Ces animaux sont aussi mis en péril par des parasites, la faim, la noyade, leurs prédateurs (renards, blaireaux) et enfin les transformations des territoires et donc de leur habitat. « Les hérissons doivent aujourd’hui parcourir de grandes distances pour trouver de la nourriture, des partenaires pendant la période de rut et des abris, comme des haies, pour l’hibernation. Ils parcourent parfois 1 à 2 km, ce qui augmente les chances de périr », explique Christian-Philippe Arthur.

Ces dangers ont aussi contribué à réorganiser l’espèce : on la trouve aujourd’hui principalement en zone urbaine (entre 15 et 37 animaux par km²) plutôt qu’en zone rurale (entre 1 et 4), selon la thèse de Pauline Hubert, de l’université de Reims Champagne-Ardenne, réalisée en 2008.

Espèce parapluie et sentinelle

Des effets dommageables pour le hérisson mais plus largement pour toute la petite faune. Erinaceus europaeus est en effet à la fois une espèce parapluie et sentinelle. « En restaurant l’habitat des hérissons (haies, végétation naturelle, bocages), on améliore celui d’autres êtres vivants, comme les insectes, les escargots, limaces, araignées, décrit Nathalie de Lacoste, chargée d’étude des mammifères au Muséum national d’Histoire naturelle. C’est aussi un animal qui sonne l’alerte sur l’état des écosystèmes. »

Comment protéger les hérissons ? Hélène de Romans gère un centre de soins, SOS Hérissons 49, spécialisé pour ces mammifères, à Saint-Mélaine-Sur-Aubance, dans le Maine-et-Loire. Depuis sa création en septembre 2014, elle accueille, avec des bénévoles et un vétérinaire partenaire, 250 animaux par an, malades, blessés ou orphelins. A ses yeux, le chantier est vaste pour recréer un environnement favorable à l’insectivore : « Il faut replanter des haies, installer des « passages à faune » sur les routes, limiter la vitesse de circulation dans les campagnes et arrêter le cercle vicieux des pesticides. »

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Statut pour les bénévoles

Les associations à l’origine de la pétition appellent aussi à défendre les protecteurs des hérissons. « Une volontaire va bientôt être jugée pour détention illégale d’espèce protégée parce qu’elle gardait chez elle des hérissons pour les soigner. C’est une folie !, s’insurge Jean-Xavier Duhart. Nous demandons au futur ministre de l’environnement de prendre un arrêté pour donner un statut légal aux bénévoles. L’arrêté en vigueur, qui date de 2000, est trop complexe et décourage les gens pour aider ou ouvrir un centre de soins. » Il rappelle qu’en Angleterre 43 000 volontaires œuvrent pour cette cause, dans 800 centres de soins, contre 500 bénévoles en France, dans 22 centres de faune sauvage et 8 autres spécialisés.

Le militant demandait également à raccourcir la formation nécessaire pour devenir capacitaire, c’est-à-dire pour pouvoir ouvrir un centre. Mais il a reculé, sous la pression des centres de faune sauvage et de certaines associations. « Les bonnes volontés ne suffisent pas, il faut aussi avoir des compétences, sans quoi les bénévoles peuvent faire n’importe quoi, comme prescrire de mauvais médicaments », rétorque Hélène de Romans. Elle ne croit pas que l’on puisse « couvrir le territoire de bénévoles », car les hérissons, « ça fait partout et il faut se lever plusieurs fois la nuit pour nourrir les petits. Même si c’est une espèce fantastique, peu de gens sont prêts à s’investir sur la durée », regrette-t-elle. D’ici là, elle continue à soigner ses « bébés », car « on ne peut pas attendre dix ans d’avoir des statistiques qui prouvent le déclin. C’est maintenant qu’il faut agir. »

Audrey Garric

 

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