Inaction climatique : la Suisse condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, une première pour un Etat

Une décision qui fera date. Pour la première fois, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné, mardi 9 avril, un Etat pour son inaction climatique !

Cet Etat, c’est la Suisse, poursuivie par l’association Aînées pour la protection du climat, un groupe de 2 500 femmes suisses toutes âgées de plus de 65 ans. Selon l’arrêt rendu par la CEDH, la Confédération helvétique a manqué à ses obligations, « faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente » pour protéger ces citoyennes des conséquences du changement climatique. La Cour pointe de « graves lacunes », de la Suisse, notamment parce qu’elle n’a pas quantifié les limites nationales applicables aux gaz à effet de serre, responsables de la hausse moyenne des températures.

Dans le détail, la CEDH a jugé qu’il y avait eu violation des articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l’homme, qui assurent respectivement le droit à plaider sa cause devant un tribunal et le respect de la vie privée et familiale.

« Ce n’est que le début en matière de contentieux climatique », a prévenu la militante suédoise Greta Thunberg, venue à Strasbourg apporter son soutien aux plaignants.

Pour la juriste Christel Cournil, professeure en droit public spécialiste des actions en justice sur le climat, la condamnation de la Suisse devant la CEDH marque « un changement d’échelle ». Au cours des dix dernières années, les militants de la cause climatique ont en effet appris à se servir de l’outil juridique pour mettre les Etats face à leurs engagements. Partout dans le monde, des cours de justice nationales ont été saisies de nouveaux « contentieux climatiques », poussant parfois les gouvernements à revoir à la hausse les ambitions de leurs législations relatives au climat, comme en Allemagne ou au Pays-Bas.

En France, le tribunal administratif de Paris a condamné la France à deux reprises en 2021, jugeant l’Etat responsable notamment de manquements à ses engagements, dans le cadre d’une plainte des ONG Notre Affaire à tous, ainsi que les antennes françaises de Greenpeace et Oxfam. Mais le passage de l’échelon national à une cour régionale (européenne dans le cas présent) confirme « que la cause climatique peut être entendue à ce niveau de juridiction, de manière légitime », constate Christel Cournil. « Or, il y a six autres affaires qui vont arriver d’ici peu devant la CEDH, certaines du même ordre que l’affaire portée par l’association des aînées suisse », note-t-elle.

La Suisse, condamnée à verser 80 000 euros à l’association pour frais de justice, a maintenant « l’obligation juridique de mettre en œuvre cet arrêt », a déclaré à l’AFP l’avocat Alain Chablais, qui a représenté Berne dans ce dossier d’un genre nouveau. Même si, selon lui, ‘ »il faudra un certain temps pour déterminer quelles mesures seront prises » par le gouvernement suisse pour faire face à ses responsabilités.

Et pour cause : toute décision de la CEDH s’applique dans les 46 Etats membres du Conseil de l’Europe. Quant à la suite ? « Le comité des ministres du Conseil de l’Europe va être chargé de surveiller l’exécution de la décision de justice », explique la juriste Christel Cournil. « Il va y avoir un dialogue avec le Conseil de l’Europe, le Conseil des ministres et le gouvernement qui doit désormais prendre acte de cette décision », résume-t-elle.

Ainées pour le climat suisse