Une tribune publiée dans L’Obs, écrite par Guilhem Méric.
Merci à lui!
Autoroute A69 : Thomas Brail en son arbre et conscience
Arboriste fondateur du Groupe national de Surveillance des Arbres (GNSA), Thomas Brail est l’une des figures de la protestation contre la construction de l’autoroute A69, censée relier Castres à Toulouse. Dans une tribune à « l’Obs », le romancier et scénariste Guilhem Méric a tenu à lui rendre hommage.
Publié le 25 octobre 2023 à 13h00
Il y a des choses ou des êtres dont on ne peut parler qu’avec le cœur. Parce que ça touche à nos valeurs les plus profondes, à l’essence même de notre condition humaine. C’est ce que je ressens vis-à-vis de Thomas Brail.
La première fois que j’ai entendu parler de lui, c’est lors du bras de fer entre le maire de Sète et le collectif Bancs publics concernant la construction d’un parking souterrain sur l’historique place Aristide-Briand, riche d’un magnifique kiosque datant de 1891 et de 52 tilleuls argentés. Tout devait disparaître : kiosque, arbres, parc pour enfants, promenades… pour laisser place à un chantier gigantesque qui ne devrait prendre fin qu’au bout de trois ans. L’affaire a défrayé la chronique régionale, est remontée jusqu’à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, pris à partie en direct par José Bové lors de l’émission « Aux arbres citoyens », avant de faire l’objet de maints recours.
Thomas Brail était alors venu défendre nos précieux arbres. Arboriste fondateur du Groupe national de Surveillance des Arbres (GNSA), il militait à sa façon pour leur défense, en se perchant sur leurs branches pour éviter leur abattage. Son engagement, malheureusement, n’a pas suffi. Le maire a eu gain de cause et les tilleuls argentés ont été déracinés pour démarrer le chantier. Une bataille de perdue, mais un engagement continu pour cet arboriste militant et particulièrement inquiet du sort réservé à ce bien commun que sont nos arbres et, au-delà, toute la biodiversité indispensable à l’équilibre de notre habitat.
Le soutien des « écureuils »
Son engagement a pris des proportions inattendues lorsque en septembre dernier, Thomas Brail a entamé une grève de la faim de près de quarante jours, suspendu à un platane face au ministère de la Transition écologique, à Paris, pour protester contre la construction de l’autoroute A69, censé relier Castres à Toulouse. Ce projet, lancé voilà près de trente ans dans le but de « désenclaver » la route nationale 126 pourtant sous-fréquentée, impliquait l’abattage d’arbres centenaires et le bétonnage de 400 hectares de terres agricoles, le tout pour un gain de temps de vingt minutes et un coût de 17 euros aller-retour. Un projet « anachronique », relève Christophe Cassou, climatologue réputé appelant à renoncer à ce projet, ainsi que 1 500 autres scientifiques, dans une lettre ouverte publiée par « l’Obs ». La détermination légitime de Thomas Brail lui a valu le soutien de nombreuses personnalités publiques, mais aussi de plus de 200 élus locaux, de citoyens engagés, grévistes de la faim eux aussi, ainsi que d’autres grimpeurs auxquels on a donné le doux sobriquet d’« écureuils ».
La décision de Thomas et de deux autres militants d’entamer une grève de la soif a forcé les politiques concernés à sortir de leur réserve. Une vague d’espoir a soulevé la poitrine des opposants. Allait-on enfin sortir de ce conflit dans l’attente du jugement des recours ? Le rendez-vous avec Carole Delga, présidente de la région Occitanie, n’ayant pas davantage porté ses fruits qu’avec Clément Beaune, le ministre des Transports, qui avait assuré suspendre provisoirement les travaux de défrichement de l’A69 avant de faillir à sa parole, cette lueur d’espoir s’est vite envolée. Avec, en guise de coup de grâce, le rejet du tribunal administratif de Toulouse concernant la demande d’interruption du chantier.
Mais pour Thomas Brail, pas question de baisser les bras. Une grande manifestation s’est organisée les 21 et 22 octobre, « Ramdam sur le macadam », dans le but de réunir toutes les forces vives d’ici et d’ailleurs pour discuter d’alternatives concrètes à ce projet d’autoroute et manifester le refus de milliers de citoyens atterrés par son aberration écologique. Une aberration qui tranche dans le vif des promesses de transition environnementale du gouvernement, déjà retoqué par le Conseil d’Etat pour inaction climatique. Les beaux discours, en la matière, se révèlent désespérément creux quand vient le temps de la décision et de l’arbitrage.
Sauvagement matraqué
Ces deux journées se voulaient familiales, instructives et fraternelles. Autant dire que personne ne s’attendait à voir débouler 1 600 gendarmes en pleine conférence de scientifiques de l’Atelier d’écologie politique. Et pourtant. Les forces de l’ordre, vêtues de noir et lourdement armées comme une unité d’intervention du Raid, ont calciné le champ d’un paysan, gazé des familles et des scientifiques, tabassé des militants pacifiques dont Thomas Brail lui-même, faisant en tout une trentaine de blessés.
Les militants, en dépit des gaz lacrymogènes et des coups de matraque, ont dû arrêter des feux déclenchés par des grenades de désencerclement – alors même qu’on leur avait coupé l’eau et l’électricité. Ces femmes et ces hommes, de prime abord pacifiques, se sont fait traiter comme de vulgaires voyous qu’il fallait empêcher de nuire. Alors qu’ils n’ont jamais rien fait que demander la suspension du chantier pour interroger, par une expertise socio-économique indépendante et un référendum, la pertinence du projet de l’A69.
La vision de Thomas Brail, suppliant les gendarmes de « ne pas envoyer la force » avant de se faire sauvagement matraquer, a enflammé les réseaux sociaux. Le média Vakita a recueilli ses paroles après l’assaut : Thomas, toujours dans une volonté d’apaisement malgré ses blessures, a demandé une nouvelle fois à Carole Delga et Clément Beaune d’écouter les citoyens. Aucune haine, aucune rancœur dans ses paroles. Seulement de la lassitude.
Quand la journaliste de « Télématin », ce 17 octobre, lui demandait ce qui lui donnait encore le courage de se battre, Thomas Brail avait cette réponse toute simple, la même qu’il porte au fond de son cœur et de ses tripes : « Ce qui me donne le courage de me battre, c’est que j’ai un petit garçon qui se lève tous les matins avec de gros yeux ouverts sur le monde. Et je peux pas me dire que mon gamin ne va pas pouvoir continuer à vivre sur cette planète. »
Est-ce que cela ne devrait pas être notre vœu à tous ?
Par Guilhem Meric
auteur de romans et scénariste
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